Chapitre 3 : Sous la montagne
- Qui est là
? demanda Sekknar.
Seul le silence lui répondit. L’obscurité pesante de la grotte
ne se troublait d’aucun mouvement, aucune présence distinguable, rien
que le reflux qui frappait la roche au dehors. Il prit appui sur l’éboulement
qu’il avait causé pour tenter d’atteindre le trou de lumière
au plafond, mais c’était bien trop haut ; tout ce que son obstination
lui apporta fut une chute, heureusement sans gravité, sur le sol glacé
de la grotte.
- Impossible, résuma la voix.
Elle avait des intonations sous-marines, à moins que ce ne fût
une impression causée par l’odeur de sel qui stagnait alentours.
- Mais qui parle, bordel ? s’énerva le malheureux pêcheur.
- Je suis Xarkadh.
- Ah, ce sont donc tes grottes…
- Puissante déduction.
Rien. On ne pouvait même pas rire, ce n’était pas censé
être drôle.
- Pouvez-vous m’indiquer la sortie ? essaya le pêcheur.
- Oui, oui, je pourrais, mais en fait, non.
- Mais pourquoi ?
- Parce que si tu sors, je n’aurai pas de dîner.
Sans équivoque. Ni ambages, d’ailleurs.
- Ah.
Sekknar s’empara d’une roche et la lança dans la direction de la voix.
Mais le résultat ne fut qu’un écho qui se répercuta longuement
dans l’obscurité, si bien qu’à la fin, le pêcheur se demanda
s’il ne s’agissait pas du rire de la créature. Il prit une autre pierre,
mais la garda en main, prêt à se défendre. Trois couloirs
sortaient de la grotte, constata-t-il quand ses yeux s’habituèrent
à l’obscurité. Il en prit un au hasard et avança avec
précaution, se retournant constamment afin de ne pas être surpris
par quelque immonde créature bondie de l’obscurité. Avancer
fut pour lui un supplice, car la voix, se faisant sardonique, l’embrouillait
:
- Oh non, pas par là, tu aurais du tourner à droite à
l’autre croisement, ce tunnel débouche dans la mer. Bifurque à
gauche, là. Mais non, pas cette gauche là, l’autre gauche !
Mais il ne perdait pas sa vigilance, se retournant constamment et balayant
l’obscurité (qui n’était maintenant que par trop complète)
d’un regard inquisiteur. Le labyrinthe se poursuivait sans fin, et il s’y
perdait. Il était traqué, effrayé, aveugle.
- C’est ici qu’on
a lancé la fusée, remarqua Aghnar, sans se rendre compte qu’il
avait été le dernier à observer ce fait.
- Regardez, le semi-mortier (le chevalier était semble-t-il plus au
courant que nous des termes techniques) a glissé le long de la pente.
L’expédition descendit la pente rapidement.
- Cette corniche semble s’être effondrée, remarqua Greaththorn.
Et là en bas, il y a comme une entrée de caverne. Allons voir.
Ils descendirent, trouvant la grotte et les affaires du naufragé.
- C’est ici que votre père a trouvé les fusées éclairantes,
constate Gurthan. Il y a là tout un attirail, ma parole !
Mais nulle trace de Sekknar.
Aghnar, que l’atmosphère étouffait, retourna à l’air
libre. Et c’est à ce moment qu’il repéra le trou qu’avait fait
Sekknar en glissant dans les grottes de Xarkadh. Il appela aussitôt
ses compagnons.
- Voilà l’explication, s’exclama Gurthan, votre père, glissant
de la corniche, a percuté ce rocher friable et est passé au
travers !
- C’est très probable, mais quand bien même, rétorqua
Aghnar, comment descendre à sa recherche ?
- Je crois me souvenir qu’il y avait une corde parmi les affaires dans la
grotte. Si nous l’accrochions à un rocher saillant, nous pourrions
facilement monter et descendre tout à la fois !
Greaththorn courut chercher l’objet en question, tandis que Gurthan et Aghnar
cherchaient un rocher. Ils furent à ce moment rejoint par Nol’ragh,
le bâtisseur du village, qui avait accouru à la recherche de
son ami et avait également vu la fusée de détresse. Mais
quand la corde fut apportée, aucun rocher propre à la soutenir
ne s’était manifesté.
- Il suffit que je la porte, proposa Nol’ragh, que des années de réparations
dans les diverses maisons du village avaient fort musclé, ainsi vous
pourrez descendre, et vous pourrez me héler d’en bas pour que je vous
renvoie la corde.
Le plan accepté, Gurthan et Greaththorn descendirent tous deux dans
la grotte, Aghnar ayant subitement decidé qu’il était claustrophobe.
Personne ne fut dupe, personne ne le regretta : Bon ami et compagnon utile,
dans l’action il était malheureusement plus un poids qu’autre chose.
Arrivés en bas sans encombres, Greaththorn utilisa un pierre rèche
pour enflammer un solide bout de bois qu’il avait astucieusement tiré
du feu de la grotte en prévision, et après quelques instants,
s’en fit une torche valable. Il virent alors à sa lueur que trois chemins
partaient de la grotte, et décidèrent de se séparer,
pour couvrir plus de terrain, et Greaththorn enflamma un second bout de bois
pour le donner à Gurthan.
Il était
déjà passé par là. C’était certain. Sekknar
avait l’impression d’avoir traversé pendant plusieurs années
le labyrinthe obscur, et il commençait à devenir fou. De plus,
la voix le harcelait malgré ses intimations plutôt brutales au
silence. Sekknar s’assit, tentant de rassembler le peu d’idées qu’il
lui restait, pour sortir de ces horribles profondeurs. Il n’avait pas moyen
de faire lumière, et son bras tremblait tellement que même un
éléphant n’aurait pas été touché s’il lui
avait jeté sa pierre. C’était désespéré,
foutu. Sekknar en vint à penser qu’il ne vendrait pas le beau poisson
qu’il avait pêché ce matin, ce qui était complétement
stupide, puisque son cadavre gîsait sans doute au fond de la mer, entre
les débris de sa barque. Mais soudain, il reprit espoir. N’entendait-il
pas un cri, un cri qui l’appelait ? Mais oui !
- Greaththorn ! Greaththorn, je suis là !
Il se leva, plein d’espoir, et sentit quelque chose frôler son épaule.
Quelque chose de visqueux, d’immonde, de mouillé et de sale. Quelque
chose qui chercha sans plus attendre à l’étrangler. Sekknar
se débattit, lâcha sa pierre, et tenta de bloquer l’inexorable
étreinte de ses mains. Un gargouillis déformé sortit
de sa gorge, et l’air manquait, manquait… Et ce rire, ce rire sordide, que
poussait la créature triomphante, derrière lui, ce rire l’horrifia.
Il perdit finalement conscience, baigné dans ce rire affreux.
Pour tous ceux qui en doutaient encore, les murguls sont méchants.
Xarkadh ne profita cependant pas bien longtemps de sa prise, puisqu’une épée lui perça le flanc. Furieux, il se retourna vers Gurthan et lui envoya une mémorable volée. Greaththorn, qui arrivait dans l’autre sens, planta lui aussi son épée dans le corps du grimpeur murgul. Celui-ci se débattit, à l’agonie, mais d’autres coups d’épées vinrent écourter cette dernière. Mais c’était trop tard – trop tard pour Sekknar.
Trois jours plus
tard, Greaththorn, transpercé de chagrin, enterra son père.
Il était accompagné de Gurthan, d’Aghnar, de Nol’ragh et de
Stephl, qui était le maire de Zeniarth. Très dure fut cette
épreuve, très dure fut cette année pour le village, pour
la communauté. Mais pour Greaththorn, ce fut le pire. Malgré
les condoléances, le soutien de ses amis, il mit longtemps à
s’en remettre. Gurthan, faisant preuve de cœur pour une fois, resta jusqu’au
bout, jusqu’à ce que le jeune homme ait surmonté cette épreuve.
Puis, ce moment venu, plusieurs semaines plus tard, il lui fit ses adieux
:
- Au revoir, ami. Je dois te dire que ton combat dans la grotte fut des plus
impréssionnants. Si tu veux venir avec moi, tu ne seras plus mon écuyer,
mais mon égal.
Mais, à la surprise de tous, Greaththorn refusa. Il savait que chaque
aventure lui rappellerait son père, et la blessure était encore
trop profonde.
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