Chapitre 6 : Et une poursuite, une !

Il y avait quelque chose, dans l’air peut-être, qui rendait le cheval nerveux. Quoique à la réflexion, Shaleth n’était pas très confiant lui-même. Il y avait dans l’air comme une odeur de mort, de pourriture. Shaleth l’avait sentie depuis qu’il avait perdu le bataillon, quoiqu’il préférât le terme s’éloigner provisoirement, par euphémisme. La forêt n’était pas dans son état normal, et c’était évident. On murmurait dans son régiment, parlant d’un suppôt de Sylvanas, un vil nécromant nommé Shillshamesh, qui ménerait au combat des troupes de pillards sortis tout droit des cimetières et ravagerait la région avec ses armées. Mais il ne croyait pas trop aux destructions de villages, les prenant plutôt pour des racontars lancés par les généraux pour relancer l’intérêt de la campagne. En effet, la vigilance des troupes avait quelque peu baissé, ces derniers temps (Shaleth aimait bien les euphémismes…), et s’était par un heureux hasard renforcée dès l’annonce des maraudages dans le nord. Il est vrai que le fait de risquer d’être dévoré pendant son sommeil est un bon catalyseur de concentration.
Il avait bien du mal à trouver du gibier, le chevalier, et les réserves d’aliments qu’il transportait dans son sac à dos étaient proches de l’inexistance, et consistaient en une sorte de bouillie fuligineuse à l’aspect presque aussi attrayant que l’eau de la fontaine de Quel’thalas après sa souillure par Arthas lors de la résurrection de Kel’thuzad pendant la troisième guerre, et au goût à mi-chemin entre le marbre brut et… non en fait ça avait tout à fait le goût du marbre brut. Ses malheurs le menèrent à l’insomnie presque parfaite, cette nuit encore.
Hors ce matin-là, ce ne fut pas le soleil, qui ne l’avait pas attendu, étant ponctuel, lui, qui le réveilla. Ce fut plutôt la sensation étrange qu’il sentit sur son estomac quand Greaththorn, dans sa fuite, lui marcha dessus. Il avait en effet laissé son cheval à l’orée d’un petit bosquet d’ormes, et s’était endormi auprès d’une déclinaison de terrain qui formait une cachette naturelle fort pratique et peu apte à attirer l’attention. La seconde chose qu’il ressentit fut la fatigue, mais je ne vais pas décrire ce sentiment, plus par flemme que pour une quelconque autre raison, étant donné que je présume que vous connaissez cette sensation. Mais elle fut bien vite remplacée par la peur, la peur qui l’envahit avec l’aide bienveillante de la horde de morts qui poursuivait les deux jeunes personnes. Par chance, il fuit dans la bonne direction, celle de son cheval. Lorsqu’il l’enfourcha, avec une grimace pour son ventre qui n’appréciait pas ce réveil précipité, il se félicita de constater que les morts ne l’avaient pas rattrapé. Mais sa satisfaction retomba vite quand il découvrit que sa survie ne tenait que du désintérêt que portait la horde pour sa personne. Il calcula donc qu’il pouvait s’eclipser sans grands problèmes en longeant la forêt, puis en partant vers le sud. Mais que faisait ce jeune homme ? Il venait d’obliquer dans sa direction et semblait brailler quelque chose…
Voyons…
Shaleth se retourna pour trouver derrière lui l’interlocuteur de l’homme, mais il n’y avait personne. Il se résigna donc à comprendre qu’il n’y couperait pas : il devrait prendre ces deux messieurs (dont un était fort jeune, il s’étonnait de le voir courir si vite) sur sa selle, et devenir ainsi une autre cible potentielle. Ca n’arrivait qu’à lui, ça… Après une petite séance de cogitation, il se décida à partir bride abattue, jugeant préférable de sauver une vie sur trois plutôt que de prendre le risque d’en sauver le maximum et de les perdre toutes, constatons que les euphémismes sont utiles pour la conscience aussi, dans certains cas.
Mais avant que son plan ne fût mis à exécution, le jeune homme sauta derrière lui sur l’encolure de son cheval, lui ôtant tout espoir de se défiler. Aussi, bon prince, attendit-il également l’enfant qui grimpa agilement derrière son collègue, provoquant le mécontentement non réprimé du cheval, qui avait au moins le mérite d’être franc. Sans l’écouter, Shaleth le stimula d’un « yaah » timide et d’un vigoureux coup d’étrier. Le cheval partit assez vite, Greaththorn couvrant les arrières avec son arc. Il fallut cependant plus d’une heure, et une grande partie du carquois de l’archer pour que les morts-vivants n’abandonne la poursuite.
Du moins, c’est ce qu’ils croyaient.
Car, voyant la supériorité d’endurance du poursuivi, ils préférèrent ruser. Enfin, il préféra ordonner à ses troupes de ruser, car voir des goules avoir une pensée individuelle intelligente serait quelque peu déplacé dans un récit qui se veut un tantinet réaliste. Il ramena auprès de lui ses espions, les ombres, et leur ordonna de chasser. Les ombres ont le mérite, à défaut de capacités autres, de pister fort convenablement un ennemi. Et de plus, elles se défendent remarquablement en vitesse. Et l’impression de sécurité qui s’installa dans le groupe n’était qu’illusion lorsqu’il installèrent campement ce soir-là.
La première chose que fit Greaththorn après avoir allumé le feu fut de remercier son sauveur, qu’il considéra comme un grand chevalier et un héros. Tandis que Shaleth sentait la petite auréole qui montait sur sa tête en même temps que ses bottes de mailles commençaient à serrer ses chevilles, Greaththorn lui demanda ce qu’il faisait ici. Shaleth lui raconta la manière ignoble avec laquelle son régiment, pensant le combat perdu, fuit lâchement, abandonnant les héros comme lui qui combattaient encore et qui vainquirent les morts-vivants sur ce coup-là, ne laissant malheureusement que lui pour raconter la longue bataille des héros qu’il avait remportée (il enleva ses bottes à ce moment et commença à se masser les chevilles, éprouvant dans cette pratique un doux contentement). L’admiration que Greaththorn avait pour le personnage n’en fut que renforcée, et la soirée se termina en discussion sur le thème des pillages, de glorieuses épopées et autres discussions de feu de camp. Les deux (un seul avec franchise) partis racontèrent leurs aventures respectives, puis on décida des tours de veille ; voulant épargner ceux-ci à Killdred, Greaththorn se proposa de faire celui de son jeune ami.
Ce fut au cours de la garde de Shaleth que les morts arrivèrent. Sans bruit, Shillshamesh jugea de la situation. Il y avait un passage, sombre et malsain, qui s’enfonçait dans la forêt, et deux autres à travers les dunes (dont un était celui que venait d’emprunter le nécromancien. Habile stratège, il se dit qu’aucun humain censé ne rentrerait dans cette forêt qui sentait tant le piège. Aussi chargea-t-il son escorte, certains des plus habiles spadassins d’Azeroth, d’avancer sans bruit vers l’autre passage de dunes, pour les y abattre silencieusement lorsqu’ils s’enfuiraient par là. Ainsi, suivant ce subtil plan, Shillshamesh et le groupe de Reprouvés avancèrent sans se cacher le long du chemin, comme pour rabattre ces humains qui faisaient office de gibier.
C’est marrant comme les bourrins qui veulent être subtils se plantent si magistralement.
En effet, Shaleth, voyant le fléau arriver, hurla de terreur, ce que Greaththorn, émergeant du sommeil, prit pour un cri d’alerte. Et le chevalier, enfourchant son cheval, partit droit devant lui sans se poser de questions, droit vers la forêt, sourd aux imprécations de Greaththorn, qui était avec Killdred monté sur le cheval au dernier moment, ce cheval qui n’appréciait pas tout ce poids sur son dos et renâclait, enfin on commence à avoir l’habitude. Mais les mercenaires, voyant que le piège n’avait pas fonctionné, se jetèrent en jurant à la poursuite des trois cavaliers, si on peut parler de trois cavaliers sur un seul cheval, insensible à la forme peu engageante de la forêt. Le fléau ne les y suivit pas, préférant tenter de contourner la forêt. Ils n’eurent pas tort, pour une fois.
Il y avait dix-huit mercenaires, dix-huit qui tous avaient voué leur vie au crime et au brigandage, et au plus offrant aussi par la même occasion. Ils étaient tous expérimentés, et avaient de nombreuses missions réussies derrière eux. Aucun n’était novice, aucun n’était naïf, et pourtant aucun ne survécut, et ce pour une bonne bien que stupide raison : ils étaient à pied.
Une ombre semblait se former derrière Killdred. Greaththorn encouragea Shaleth à accélérer l’allure ; les habitants des lieux semblaient peu aptes à développer le tourisme dans la région. Il y avait derrière eux une sorte de chuchotement, un chuchotement rauque, maudit, qui ne pouvait appartenir à quelque chose de connu, même dans ce monde. C’était très destabilisant. Soudain, le chuchotement passa sur la gauche. Mais un autre se fit entendre lui aussi sur la droite. Ils étaient plusieurs.
Un chant de chuintements s’éleva au-dessus des arbres.

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